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SANS FAMILLE

loin un bateau à demi noyé dans les brumes confuses, j’attendais qu’il grandît pour voir si ce n’était pas le Cygne.

Mais ce n’était pas lui.

Quelquefois je m’enhardissais jusqu’à interroger les mariniers, et je leur décrivais le bateau que je cherchais : ils ne l’avaient pas vu passer.

Maintenant que mon maître était décidé à me céder à madame Milligan, au moins je me l’imaginais, il n’y avait plus à craindre qu’on parlât de ma naissance ou qu’on écrivît à mère Barberin ; l’affaire se traiterait entre mon maître et madame Milligan ; au moins dans mon rêve enfantin, j’arrangeais ainsi les choses : madame Milligan désirait me prendre près d’elle, mon maître consentait à renoncer à ses droits sur moi, tout était dit.

Nous restâmes plusieurs semaines à Lyon, et tout le temps que j’eus à moi je le passai sur les quais du Rhône et de la Saône ; je connais les ponts d’Ainay, de Tilsitt, de la Guillotière ou de l’Hôtel-Dieu, aussi bien qu’un Lyonnais de naissance.

Mais j’eus beau chercher : je ne trouvai pas le Cygne.

Il nous fallut quitter Lyon et nous diriger vers Dijon ; alors l’espérance de retrouver jamais madame Milligan et Arthur commença à m’abandonner ; car j’avais à Lyon étudié toutes les cartes de France que j’avais pu trouver aux étalages des bouquinistes, et je savais que le canal du Centre que devait prendre le Cygne pour gagner la Loire, se détache de la Saône à Chalon.