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SANS FAMILLE

du Cygne, combien les draps de mon lit me paraissaient rugueux !

Je ne jouerais donc plus avec Arthur, je n’entendrais donc plus la voix caressante de madame Milligan !

Heureusement, dans mon chagrin, qui était très-vif et persistant, j’avais une consolation : mon maître était beaucoup plus doux, — beaucoup plus tendre même, — si ce mot peut être juste appliqué à Vitalis, — qu’il ne l’avait jamais été !

De ce côté il s’était fait un grand changement dans son caractère ou tout au moins dans ses manières d’être avec moi, et cela me soutenait, cela m’empêchait de pleurer quand le souvenir d’Arthur me serrait le cœur ! Je sentais que je n’étais pas seul au monde et que dans mon maître, il y avait plus qu’un maître.

Souvent même, si j’avais osé, je l’aurais embrassé, tant j’avais besoin d’épancher au dehors les sentiments d’affection qui étaient en moi ; mais je n’osais pas, car Vitalis n’était pas un homme avec lequel on risquait des familiarités.

Tout d’abord, et pendant les premiers temps, ç’avait été la crainte qui m’avait tenu à distance ; maintenant c’était quelque chose de vague qui ressemblait à un sentiment de respect.

En sortant de mon village, Vitalis n’était pour moi qu’un homme comme les autres, car j’étais alors incapable de faire des distinctions ; mais mon séjour auprès de madame Milligan m’avait jusqu’à un certain point ouvert les yeux et l’intelligence ; et chose étrange, il me semblait, quand je regardais mon