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SANS FAMILLE

Je puis dire que cette préoccupation a été le seul nuage de ces journées radieuses.

Un jour enfin, je me décidai à en faire part à madame Milligan, en lui demandant combien elle croyait qu’il me faudrait de temps pour retourner à Toulouse, car je voulais me trouver devant la porte de la prison, juste au moment où mon maître la franchirait.

En entendant parler de départ, Arthur poussa les hauts cris :

— Je ne veux pas que Rémi parte ! s’écria-t-il.

Je répondis que je n’étais pas libre de ma personne, que j’appartenais à mon maître, à qui mes parents m’avaient loué, et que je devais reprendre mon service auprès de lui le jour où il aurait besoin de moi.

Je parlai de mes parents sans dire qu’ils n’étaient pas réellement mes père et mère, car il aurait fallu avouer en même temps que je n’étais qu’un enfant trouvé ; et c’était là une honte à laquelle je ne pouvais pas me résigner tant j’avais souffert, depuis que je me rendais compte de mes sensations, du mépris que j’avais vu, dans notre village, marquer en toutes occasions aux enfants des hospices : enfant trouvé ! il me semblait que c’était tout ce qu’il y avait de plus abject au monde. Mon maître savait que j’étais un enfant trouvé, mais il était mon maître, tandis que je serais mort bouche close plutôt que d’avouer à madame Milligan et à Arthur, qui m’avaient élevé jusqu’à eux, que j’étais un enfant trouvé ; est-ce qu’ils ne m’auraient pas alors rejeté et repoussé avec dégoût !