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SANS FAMILLE

Et voilà que dans mon isolement et dans ma détresse j’avais trouvé quelqu’un qui m’avait témoigné de la tendresse, et que j’avais pu aimer : une femme, une belle dame, douce, affable et tendre, un enfant de mon âge qui me traitait comme si j’avais été son frère.

Quelle joie, quel bonheur pour un cœur qui, comme le mien, avait tant besoin d’aimer !

Combien de fois en regardant Arthur couché sur sa planche, pâle et dolent, je me prenais à envier son bonheur, moi, plein de santé et de force !

Ce n’était pas le bien-être qui l’entourait que j’enviais, ce n’étaient pas ses livres, ses jouets luxueux, ce n’était pas son bateau, c’était l’amour que sa mère lui témoignait.

Comme il devait être heureux d’être ainsi aimé, d’être ainsi embrassé dix fois, vingt fois par jour, et de pouvoir lui-même embrasser de tout son cœur cette belle dame, sa mère, dont j’osais à peine toucher la main lorsqu’elle me la tendait.

Et alors je me disais tristement que moi je n’aurais jamais une mère qui m’embrasserait et que j’embrasserais : peut-être un jour je reverrais mère Barberin, et ce me serait une grande joie, mais enfin je ne pourrais plus maintenant lui dire comme autrefois : « maman, » puisqu’elle n’était pas ma mère.

Seul, je serais toujours seul !

Aussi cette pensée me faisait-elle goûter avec plus d’intensité la joie que j’éprouvais à me sentir traiter tendrement par madame Milligan et Arthur.

Je ne devais pas me montrer trop exigeant pour ma