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SANS FAMILLE

tout, que c’était une vache de pauvres gens qu’il ne pourrait pas revendre, qu’elle n’avait pas de lait, qu’elle faisait du mauvais beurre, il avait fini par dire qu’il voulait bien la prendre, mais seulement par bonté d’âme et pour obliger mère Barberin qui était une brave femme.

La pauvre Roussette, comme si elle comprenait ce qui se passait, avait refusé de sortir de son étable et elle s’était mise à meugler.

— Passe derrière et chasse-la, m’avait dit le marchand en me tendant le fouet qu’il portait passé autour de son cou.

— Pour ça non, avait dit mère Barberin.

Et, prenant la vache par la longe, elle lui avait parlé doucement.

— Allons, ma belle, viens, viens.

Et Roussette n’avait plus résisté ; arrivée sur la route, le marchand l’avait attachée derrière sa voiture, et il avait bien fallu qu’elle suivît le cheval.

Nous étions rentrés dans la maison. Mais longtemps encore nous avions entendu ses beuglements.

Plus de lait, plus de beurre. Le matin un morceau de pain ; le soir des pommes de terre au sel.

Le mardi gras arriva justement peu de temps après la vente de Roussette ; l’année précédente, pour le mardi gras, mère Barberin m’avait fait un régal avec des crêpes et des beignets ; et j’en avais tant mangé, tant mangé qu’elle en avait été toute heureuse.

Mais alors nous avions Roussette, qui nous avait donné le lait pour délayer la pâte et le beurre pour mettre dans la poêle.