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SANS FAMILLE

prit place au gouvernail, le haleur enfourcha son cheval, la poulie dans laquelle passait la remorque grinça ; nous étions en route.

Quel plaisir que le voyage en bateau ! les chevaux trottaient sur le chemin de halage, et, sans que nous sentissions un mouvement, nous glissions légèrement sur l’eau ; les deux rives boisées fuyaient derrière nous, et l’on n’entendait d’autre bruit que celui du remous contre la carène dont le clapotement se mêlait à la sonnerie des grelots que les chevaux portaient à leur cou.

Nous allions, et penché sur le bordage, je regardais les peupliers qui, les racines dans l’herbe fraîche, se dressaient fièrement, agitant dans l’air tranquille du matin leurs feuilles toujours émues ; leur longue file alignée selon la rive, formait un épais rideau vert qui arrêtait les rayons obliques du soleil, et ne laissait venir à nous qu’une douce lumière tamisée par le branchage.

De place en place l’eau se montrait toute noire, comme si elle recouvrait des abîmes insondables ; ailleurs au contraire, elle s’étalait en nappes transparentes qui laissaient voir des cailloux lustrés et des herbes veloutées.

J’étais absorbé dans ma contemplation, lorsque j’entendis prononcer mon nom derrière moi.

Je me retournai vivement : c’était Arthur qu’on apportait sur sa planche ; sa mère était près de lui.

— Vous avez bien dormi ? me demanda Arthur, mieux que dans les champs ?

Je m’approchai et répondis en cherchant des paroles