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SANS FAMILLE

Je pris la main de la dame et la baisai.

Elle parut sensible à ce témoignage de reconnaissance, et affectueusement, presque tendrement, elle me passa à plusieurs reprises la main sur le front.

— Pauvre petit ! dit-elle.

Puisqu’on me demandait de jouer de la harpe, il me sembla que je ne devais pas différer de me rendre au désir qu’on me montrait : l’empressement était jusqu’à un certain point une manière de prouver ma bonne volonté en même temps que ma reconnaissance.

Je pris mon instrument et j’allai me placer tout à l’avant du bateau, puis je commençai à jouer.

En même temps la dame approcha de ses lèvres un petit sifflet en argent et elle en tira un son aigu.

Je cessai de jouer aussitôt, me demandant pourquoi elle sifflait ainsi : était-ce pour me dire que je jouais mal ou pour me faire taire ?

Arthur, qui voyait tout ce qui se passait autour de lui, devina mon inquiétude.

— Maman a sifflé pour que les chevaux se remettent en marche, dit-il.

En effet, le bateau qui s’était éloigné de la berge commençait à filer sur les eaux tranquilles du canal, entraîné par les chevaux, l’eau clapotait contre la carène, et de chaque côté les arbres fuyaient derrière nous éclairés par les rayons obliques du soleil couchant.

— Voulez-vous jouer ? demanda Arthur.

Et, d’un signe de tête, appelant sa mère auprès de lui, il lui prit la main et la garda dans les siennes pendant tout le temps que je jouai les divers morceaux que mon maître m’avait appris.