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SANS FAMILLE

nai sur mes talons comme il m’avait été ordonné, et rapidement je repris le chemin par lequel j’étais venu.

Mendiant ! cela n’était pas juste cependant. Je n’avais pas mendié : j’avais chanté, j’avais dansé, ce qui était ma manière de travailler, quel mal avais-je fait ?

En cinq minutes je sortis de cette commune peu hospitalière mais bien gardée.

Mes chiens me suivaient la tête basse et la mine attristée, comprenant assurément qu’il venait de nous arriver une mauvaise aventure.

Capi de temps en temps me dépassait et, se tournant vers moi, il me regardait curieusement avec ses yeux intelligents. Tout autre à sa place m’eût interrogé, mais Capi était un chien trop bien élevé, trop bien discipliné pour se permettre une question indiscrète, il se contentait seulement de manifester sa curiosité, et je voyais ses mâchoires trembler, agitées par l’effort qu’il faisait pour retenir ses aboiements.

Lorsque nous fûmes assez éloignés pour n’avoir plus à craindre la brutale arrivée du garde champêtre, je fis un signe de la main, et immédiatement les trois chiens formaient le cercle autour de moi, Capi au milieu, immobile, les yeux sur les miens.

Le moment était venu de leur donner l’explication qu’ils attendaient.

— Comme nous n’avons pas de permission pour jouer, dis-je, on nous renvoie.

— Et alors ? demanda Capi d’un coup de tête.

— Alors nous allons coucher à la belle étoile, n’importe où, sans souper.