Page:Malot - Sans famille, 1887, tome 1.djvu/14

Cette page a été validée par deux contributeurs.
6
SANS FAMILLE

rien dans cette absence. Il demeurait à Paris parce que le travail l’y retenait ; voilà tout. Quand il serait vieux, il reviendrait vivre près de sa vieille femme, et avec l’argent qu’ils auraient amassé, ils seraient à l’abri de la misère pour le temps où l’âge leur aurait enlevé la force et la santé.

Un jour de novembre, comme le soir tombait, un homme, que je ne connaissais pas, s’arrêta devant notre barrière. J’étais sur le seuil de la maison occupé à casser une bourrée. Sans pousser la barrière, mais en levant sa tête par-dessus en me regardant, l’homme me demanda si ce n’était pas là que demeurait la mère Barberin.

Je lui dis d’entrer.

Il poussa la barrière qui cria dans sa hart, et à pas lents il s’avança vers la maison.

Jamais je n’avais vu un homme aussi crotté ; des plaques de boue, les unes encore humides, les autres déjà sèches, le couvraient des pieds à la tête, et à le regarder l’on comprenait que depuis longtemps il marchait dans les mauvais chemins.

Au bruit de nos voix, mère Barberin accourut, et au moment où il franchissait notre seuil, elle se trouva face à face avec lui.

— J’apporte des nouvelles de Paris, dit-il.

C’étaient là des paroles bien simples et qui déjà plus d’une fois avaient frappé nos oreilles, mais le ton avec lequel elles furent prononcées ne ressemblait en rien à celui qui autrefois accompagnait les mots : « Votre homme va bien, l’ouvrage marche. »

— Ah ! mon Dieu ! s’écria mère Barberin, en joi-