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SANS FAMILLE

Ainsi finit cette représentation, que mon maître avait voulu faire amusante et qui finit si tristement.

Le premier mouvement des chiens avait été de suivre leur maître, mais je leur ordonnai de rester près de moi, et, habitués à obéir, ils revinrent sur leurs pas. Je m’aperçus alors qu’ils étaient muselés, mais au lieu d’avoir le nez pris dans une carcasse en fer ou dans un filet, ils portaient tout simplement une faveur en soie nouée avec des bouffettes autour de leur museau ; pour Capi, qui était à poil blanc, la faveur était rouge ; pour Zerbino, qui était noir, blanche ; pour Dolce, qui était grise, bleue. C’étaient des muselières de théâtre, et Vitalis avait ainsi costumé les chiens sans doute pour la farce qu’il voulait jouer à l’agent.

Le public s’était rapidement dispersé : quelques personnes seulement avaient gardé leurs places, discutant sur ce qui venait de se passer.

— Le vieux a eu raison.

— Il a eu tort.

— Pourquoi l’agent a-t-il frappé l’enfant, qui ne lui avait rien dit ni rien fait ?

— Mauvaise affaire ; le vieux ne s’en tirera pas sans prison, si l’agent constate la rébellion.

Je rentrai à l’auberge fort affligé et très-inquiet.

Je n’étais plus au temps où Vitalis m’inspirait de l’effroi. À vrai dire, ce temps n’avait duré que quelques heures. Assez rapidement, je m’étais attaché à lui d’une affection sincère, et cette affection avait été en grandissant chaque jour. Nous vivions de la même vie, toujours ensemble du matin au soir, et souvent