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EN FAMILLE.

Avant qu’elle eût trouvé une réponse à cette question, la voiture s’éloigna, et les deux ombres entrèrent dans le champ d’artichauts ; aussitôt elle entendit des petits coups secs et rapides comme si l’on coupait là quelque chose.

Alors elle comprit : c’étaient des voleurs, « des galvaudeux », qui « nettoyaient la pièce à Monneau » ; vivement ils coupaient les artichauts et les entassaient dans les paniers que la charrette avait apportés et que, sans doute, elle allait venir reprendre la récolte achevée, afin de ne pas rester sur la route pendant cette opération et d’appeler l’attention des passants s’il en survenait.

Mais au lieu de se dire, comme les paysans, « que c’était drôle », Perrine fut épouvantée, car instantanément elle comprit les dangers auxquels elle pouvait se trouver exposée.

Que feraient-ils d’elle s’ils la découvraient. Souvent elle avait entendu raconter des histoires de voleurs, et savait que c’est quand on les surprend ou les dérange qu’ils tuent ceux qui porteraient un témoignage contre eux.

Il est vrai qu’elle avait bien des chances pour n’être pas découverte par eux, puisque c’était parce qu’ils savaient certainement cette cabane abandonnée qu’ils volaient cette nuit-là les artichauts du champ Monneau ; mais si on les surprenait, si on les arrêtait, ne pouvait-elle pas être prise avec eux ; comment se défendrait-elle et prouverait-elle qu’elle n’était pas leur complice ?

À cette pensée, elle se sentit inondée de sueur, et ses yeux se troublèrent au point qu’elle ne distingua plus rien autour d’elle, bien qu’elle entendît toujours les coups secs des serpettes qui coupaient les artichauts ; et le seul soulagement à