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EN FAMILLE.

Elle s’était allongée sur la paille, la botte de roseaux sous sa tête, ayant en face d’elle, par une des ouvertures de la cabane, les feux du four à briques qui, dans la nuit, voltigeaient en lueurs fantastiques, et le bien-être du repos, au milieu d’une tranquillité qui ne devait pas être troublée, l’emportait sur les tiraillements de son estomac.

Elle ferma les yeux et avant de s’endormir, comme tous les soirs depuis la mort de son père, elle évoqua son image ; mais ce soir-là à l’image du père se joignit celle de la maman qu’elle venait de conduire au cimetière en ce jour terrible, et ce fut en les voyant l’un et l’autre penchés sur elle pour l’embrasser comme toujours ils le faisaient vivants que, dans un sanglot, brisée par la fatigue et plus encore par les émotions, elle trouva le sommeil.

Si lourde que fût cette fatigue, elle ne dormit pas cependant solidement ; de temps en temps le roulement d’une voiture sur le pavé l’éveillait, ou le passage d’un train, ou quelque bruit mystérieux qui dans le silence et le recueillement de la nuit lui faisait battre le cœur, mais aussitôt elle se rendormait. À un certain moment, elle crut qu’une voiture venait de s’arrêter près d’elle sur la route, et cette fois elle écouta. Elle ne s’était pas trompée, elle entendit un murmure de voix étouffées mêlé à un bruit de chutes légères. Vivement elle s’agenouilla pour regarder par un des trous percés dans la cabane ; une voiture était bien arrêtée au bout du champ, et il lui sembla, autant qu’elle pouvait juger à la pâle clarté des étoiles, qu’une ombre, homme ou femme, en jetait des paniers que deux autres ombres prenaient et portaient dans la pièce à côté, celle à Monneau. Que signifiait cela à pareille heure ?