Page:Malot - En famille, 1893.djvu/90

Cette page a été validée par deux contributeurs.
84
EN FAMILLE.

tendait aucun bruit sur la route, elle se glissa en rampant à travers les artichauts et gagna la cabane qu’elle trouva encore mieux meublée qu’elle n’avait imaginé puisqu’une bonne couche de paille couvrait le sol, et qu’une botte de roseaux pouvait servir d’oreiller.

Depuis Saint-Denis, il en avait été d’elle comme d’une bête traquée, et plus d’une fois elle avait tourné la tête pour voir si les gendarmes à ses trousses n’allaient pas l’arrêter, afin d’éclaircir l’histoire de sa pièce fausse ; dans la cabane, ses nerfs crispés se détendirent, et, du toit qu’elle avait sur la tête, descendit en elle un apaisement avec un sentiment de sécurité mêlé de confiance qui la releva ; tout n’était donc pas perdu, tout n’était pas fini.

Mais en même temps elle fut surprise de s’apercevoir qu’elle avait faim, alors que, tandis qu’elle marchait, il lui semblait qu’elle n’aurait jamais plus besoin de manger ni de boire.

C’était là désormais l’inquiétant et le dangereux de sa situation : comment avec le sou qui lui restait vivrait-elle pendant cinq ou six jours ? Le moment présent n’était rien, mais que serait le lendemain, le surlendemain ?

Cependant si grave que fût la question, elle ne voulut pas la laisser l’envahir et l’abattre ; au contraire il fallait se secouer, se raidir, en se disant que, puisqu’elle avait trouvé une si bonne chambre quand elle admettait qu’elle n’aurait pas mieux que le grand chemin pour se coucher, ou un tronc d’arbre pour s’adosser, elle trouverait bien aussi le lendemain quelque chose à manger. Quoi ? Elle ne l’imaginait pas. Mais cette ignorance présente ne devait pas l’empêcher de s’endormir dans l’espérance.