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EN FAMILLE.

comique, sorte de roulotte de forains mais plus simple encore, formée d’un léger châssis tendu d’une grosse toile, avec un toit en carton bitumé, le tout porté sur quatre roues basses.

Autrefois la toile avait dû être bleue, mais elle était si déteinte, salie, usée, qu’on ne pouvait s’en tenir qu’à des probabilités à cet égard, de même qu’il fallait se contenter d’à peu près si l’on voulait déchiffrer les inscriptions effacées qui couvraient ses quatre faces : l’une, en caractères grecs, ne laissait plus deviner qu’un commencement de mot : φωτογ ; celle au-dessous semblait être de l’allemand :  ; une autre de l’italien fia ; enfin, la plus fraîche et française, celle-là : photographie, était évidemment la traduction de toutes les autres, indiquant ainsi, comme une feuille de route, les divers pays par lesquels la pauvre guimbarde avait roulé avant d’entrer en France et d’arriver enfin aux portes de Paris.

Était-il possible que l’âne qui y était attelé l’eût amenée de si loin jusque-là ?

Au premier coup d’œil on pouvait en douter, tant il était maigre, épuisé, vidé ; mais, à le regarder de plus près, on voyait que cet épuisement n’était que le résultat des fatigues longuement endurées dans la misère. En réalité, c’était un animal robuste, d’assez grande taille, plus haute que celle de notre âne d’Europe, élancé, au poil gris cendré avec le ventre clair malgré les poussières des routes qui le salissaient ; des lignes noires transversales marquaient ses jambes fines aux pieds rayés, et, si fatigué qu’il fût, il n’en tenait pas moins sa tête haute d’un air volontaire, résolu et coquin. Son harnais se montrait digne de la voiture, rafistolé avec des ficelles de diverses couleurs, les unes grosses, les autres