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EN FAMILLE.

« Tout à l’heure, dit-elle si faiblement que ses paroles ne furent qu’un murmure entrecoupé d’arrêts, j’ai encore des recommandations à te faire, il faut que je te les fasse ; mais je ne sais plus ce que je t’ai déjà dit, attends. »

Après un moment, elle reprit :

« C’est cela, oui c’est cela : tu arrives à Maraucourt ; ne brusque rien ; tu n’as le droit de rien réclamer, ce que tu obtiendras ce sera par toi-même, par toi seule, en étant bonne, en te faisant aimer… Te faire aimer,… pour toi, tout est là… Mais j’ai espoir,… tu te feras aimer ;… il est impossible qu’on ne t’aime pas… Alors les malheurs seront finis. »

Elle joignit les mains et son regard prit une expression d’extase :

« Je te vois,… oui je te vois heureuse… Ah que je meure avec cette pensée, et l’espérance de vivre à jamais dans ton cœur. »

Cela fut dit avec l’exaltation d’une prière qu’elle jetait vers le ciel ; puis aussitôt, comme si elle s’était épuisée dans cet effort, elle retomba sur son matelas, à bout, inerte, mais non syncopée cependant, ainsi que le prouvait sa respiration pantelante.

Perrine attendit quelques instants, puis, voyant que sa mère restait dans cet état, elle sortit. À peine fut-elle dans l’enclos qu’elle éclata en sanglots et se laissa tomber sur l’herbe : le cœur, la tête, les jambes lui manquaient pour s’être trop longtemps contenue.

Pendant quelques minutes elle resta là brisée, suffoquée, puis comme malgré son anéantissement la conscience persistait en elle qu’elle ne devait pas laisser sa mère seule, elle