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EN FAMILLE.

elle est là menaçante. Pourquoi sa mère ne guérirait-elle point ? Pourquoi mourrait-elle ? C’est à cinquante ans, à soixante ans qu’on meurt, et elle n’en avait pas trente ! Qu’avait-elle fait pour être condamnée à une mort précoce, elle, la plus douce des femmes, la plus tendre des mères, qui n’avait jamais été que bonne pour les siens et pour tous ? Cela n’était pas possible. Au contraire, la guérison l’était. Et elle trouvait les meilleures raisons pour se le prouver, même dans cette somnolence qu’elle se disait n’être qu’un repos tout naturel après tant de fatigues et de privations. Quand, malgré tout, le doute l’étreignait trop cruellement, elle demandait conseil à la Marquise, et celle-ci la confirmait dans son espérance :

« Puisqu’elle n’est pas morte dans sa première syncope, c’est qu’elle ne doit pas mourir.

— N’est-ce pas ?

— C’est ce que pensent aussi Grain de Sel et La Carpe. »

Maintenant, sa plus grande inquiétude, puisque du côté de sa mère on la rassurait comme elle se rassurait elle-même, était de se demander combien dureraient les trente francs de La Rouquerie, car, si minimes que fussent leurs dépenses, ils filaient cependant terriblement vite, tantôt pour une chose, tantôt pour une autre, surtout pour l’imprévu. Quand le dernier sou serait dépensé, où iraient-elles ? Où trouveraient-elles une ressource, si faible qu’elle fût, puisqu’il ne leur restait plus rien, rien, rien que les guenilles de leur vêtement ? Comment iraient-elles à Maraucourt ?

Quand elle suivait ces pensées, près de sa mère, il y avait des moments où, dans son angoisse, ses nerfs se tendaient