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EN FAMILLE.

Si rien ne pressait, c’était que sa mère ne se trouvait pas aussi mal qu’elle l’avait craint ; on pouvait donc encore espérer et attendre.

Le mercredi était le jour qu’elle attendait, mais son impatience de le voir arriver était traversée par l’émotion douloureuse avec laquelle elle le redoutait, car s’il devait les sauver par l’argent qu’il allait leur apporter, d’un autre côté il devait la séparer de Palikare. Aussi, chaque fois qu’elle pouvait quitter sa mère, courait-elle dans l’enclos pour dire un mot à son ami qui, n’ayant plus à travailler, ni à peiner, et trouvant à manger autant qu’il voulait après tant de privations, ne s’était jamais montré si joyeux. Dès qu’il la voyait venir, il poussait quatre ou cinq braiments à ébranler les vitres des cahutes du Champ Guillot, et, au bout de sa corde, il lançait quelques ruades jusqu’à ce qu’elle fût près de lui ; mais aussitôt qu’elle lui avait mis la main sur le dos, il se calmait et, allongeant le cou, il lui posait la tête sur l’épaule sans plus bouger. Alors, ils restaient ainsi, elle le flattant, lui remuant les oreilles et clignant des yeux avec des mouvements rythmés qui étaient tout un discours.

« Si tu savais ! » murmurait-elle doucement.

Mais lui ne savait point, ne prévoyait point, et, tout aux satisfactions du moment présent, le repos, la bonne nourriture, les caresses de sa maîtresse, il se trouvait le plus heureux âne du monde. D’ailleurs, il s’était fait un ami de Grain de Sel, de qui il recevait des marques d’amitié qui flattaient sa gourmandise. Le lundi, dans la matinée, ayant trouvé le moyen de se détacher, il s’était approché de Grain de Sel occupé à triquer les ordures qui arrivaient, et curieusement