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EN FAMILLE.

Si encore un peu de mieux se présentait, elle en serait encouragée et fortifiée ; mais il n’en était pas ainsi, et bien que sa mère ne se plaignît jamais, répétant toujours, au contraire, son mot habituel : « Cela va aller », elle voyait qu’en réalité « cela n’allait pas » : pas de sommeil, pas d’appétit, la fièvre, un affaiblissement, une oppression qui lui paraissaient progresser, si sa tendresse, sa faiblesse, son ignorance, sa lâcheté ne l’abusaient point.

Le mardi matin, à la visite du médecin, ce qu’elle craignait pour l’ordonnance se réalisa : après un rapide examen de la malade, le docteur Cendrier tira de sa poche son carnet, ce terrible carnet cause de tant d’angoisses pour Perrine, et se prépara à écrire ; mais au moment où il posait le crayon sur le papier, elle eut le courage de l’arrêter.

« Monsieur, si les médicaments que vous allez ordonner ne sont pas d’égale importance, voulez-vous bien n’inscrire aujourd’hui que ceux qui pressent ?

— Qu’est-ce que vous voulez dire ? » demanda-t-il d’un ton fâché.

Elle tremblait, mais cependant elle osa aller jusqu’au bout.

« Je veux dire que nous n’avons pas beaucoup d’argent aujourd’hui et que nous n’en recevrons que demain ; alors… »

Il la regarda, puis après avoir jeté un coup d’œil rapide çà et là, comme s’il voyait pour la première fois leur misère, il remit son carnet dans sa poche :

« Nous ne changerons le traitement que demain, dit-il ; rien ne presse, celui d’hier peut être encore continué aujourd’hui. »

« Rien ne presse », fut le mot que Perrine retint et se répéta :