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EN FAMILLE.

n’était donc pas encore assez riche, le vieil aveugle, qu’il voulait ruiner le pauvre monde ! la mort de son fils ne lui avait donc pas mis un peu de bonté, un peu de pitié au cœur ! les ouvriers étaient donc imbéciles de ne pas comprendre que tout cela n’avait d’autre but que de les enchaîner plus étroitement encore, et de leur reprendre d’une main ce qu’on semblait leur donner de l’autre. Des réunions s’étaient tenues où l’on avait discuté ce qu’il y avait à faire, et dans lesquelles plus d’un ouvrier avait prouvé qu’il n’était pas un imbécile comme tant d’autres de ses camarades.

Dans l’intimité même de M. Vulfran, ou plutôt dans sa famille, ces réformes avaient provoqué autant d’inquiétudes que de critiques. Devenait-il fou ? Allait-il se ruiner, c’est-à-dire les ruiner ? Ne serait-il pas prudent de le faire interdire ? Évidemment sa faiblesse pour cette petite fille, qui faisait de lui ce qu’elle voulait, était une preuve de démence sénile, que les tribunaux ne pourraient pas ne pas peser. Et toutes les inimitiés s’étaient concentrées sur cette dangereuse gamine qui ne savait pas ce qu’elle faisait : qu’importait à cette fille l’argent follement gaspillé, ce n’était pas le sien.

Heureusement pour la fille elle se sentait soutenue contre cette colère, dont elle recevait des coups directs ou indirects à chaque instant, par des amitiés qui l’encourageaient et la réconfortaient.

Comme toujours Talouel, courtisan du succès, s’était rangé de son côté : elle réussissait ce qu’elle entreprenait, elle faisait faire à M. Vulfran tout ce qu’elle voulait, elle était en butte à l’hostilité des neveux, c’était plus qu’il n’en fallait pour qu’il se montrât ouvertement son ami ; au fond, que lui