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EN FAMILLE.

C’est de là qu’on peut le mieux suivre les transformations de la contrée, et elles sont extraordinaires, eu égard surtout au peu de temps qui s’est écoulé.

Aux usines elles-mêmes il n’a pas été apporté de changements bien sensibles : ce qu’elles étaient, elles le sont toujours, comme si, arrivées à leur complet développement, elles n’avaient qu’à continuer la marche régulière de tout ce qui est rigoureusement réglé.

Mais à une courte distance de leur entrée principale, là où autrefois s’effondraient de pauvres bicoques occupées par deux garderies d’enfants du genre de celle de la Tiburce brûlée quelques mois auparavant, se montrent le toit flambant rouge et la façade mi-partie rose, mi-partie bleue de la crèche que M. Vulfran a fait construire en achetant pour les raser ces vieilles masures croulantes.

Sa façon de procéder avec leurs propriétaires a été aussi nette que franche : il les a fait venir et leur a expliqué que comme il ne pouvait pas tolérer plus longtemps que les enfants de ses ouvriers et de ses ouvrières fussent exposés à être brûlés ou tués par toutes sortes de maladies résultant des mauvais soins qu’ils trouvaient chez celles qui les gardaient, il allait faire construire une crèche dans laquelle ces enfants seraient reçus, nourris, élevés gratuitement jusqu’à l’âge de trois ans. Entre sa crèche et leurs garderies il n’y avait pas de lutte possible. S’ils voulaient vendre leurs maisons, il les achèterait moyennant une somme fixe et une rente viagère. S’ils ne voulaient pas, ils n’avaient qu’à les garder ; le terrain ne lui manquerait pas. Ils avaient jusqu’au lendemain matin onze heures pour se décider ; à midi il serait trop tard.