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EN FAMILLE.

parce qu’il me donnait ses soins, son affection, et plus encore je crois bien, parce qu’il sentait que je l’aimais de tout mon cœur. La loi n’avait rien à voir là dedans ; je ne me demandais pas si c’était la loi qui le faisait mon père, car j’étais bien certaine que c’était l’affection que nous avions l’un pour l’autre.

— Où veux-tu en venir ?

— Pardonnez-moi si je dis des paroles qui vous paraissent déraisonnables, mais je parle tout haut, comme je pense, comme je sens.

— Et c’est pour cela que je t’écoute, parce que tes paroles, pour peu expérimentées qu’elles soient, sont au moins celles d’une bonne fille.

— Eh bien, monsieur, j’en veux venir à ceci, c’est que si vous aimez votre fils et voulez l’avoir près de vous, lui de son côté il doit aimer sa fille et veut l’avoir près de lui.

— Entre son père et sa fille, il n’hésitera pas ; d’ailleurs le mariage annulé, elle ne sera plus rien pour lui. Les filles de l’Inde sont précoces ; il pourra bientôt la marier, ce qui, avec la dot que je lui assurerai, sera facile ; il ne sera donc pas assez peu sensé pour ne pas se séparer d’une fille qui, elle, n’hésiterait pas à se séparer bientôt de lui pour suivre son mari. D’ailleurs, notre vie n’est pas faite que de sentiment, elle l’est aussi d’autres choses qui pèsent d’un lourd poids sur nos déterminations : quand Edmond est parti pour les Indes, ma fortune n’était pas ce qu’elle est maintenant ; quand il verra, et je la lui montrerai, la situation qu’elle lui assure à la tête de l’industrie de son pays, l’avenir qu’elle lui promet, avec toutes les satisfactions des richesses et des honneurs, ce ne sera pas une petite moricaude qui l’arrêtera.