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EN FAMILLE.

devoir de père me faisait une loi d’imposer à mon fils, coupable de fautes qui pouvaient l’entraîner loin, une punition qui serait une leçon. Il fallait qu’il eût la preuve que ma volonté était au-dessus de la sienne ; c’est pourquoi je l’envoyai aux Indes, où j’avais l’intention de ne le tenir que peu de temps, et où je lui donnais une situation qui ménageait sa dignité, puisqu’il était le représentant de ma maison. Pouvais-je prévoir qu’il s’éprendrait de cette misérable créature, et se laisserait entraîner dans un mariage fou, absolument fou ?

— Mais le père Fildes dit que celle qu’il a épousée n’était point une misérable créature.

— Elle en était une, puisqu’elle a accepté un mariage nul en France, et dès lors je ne pouvais pas la reconnaître pour ma fille, pas plus que je ne pouvais rappeler mon fils près de moi, tant qu’il ne se serait pas séparé d’elle ; c’eût été manquer à mon devoir de père, en même temps qu’abdiquer ma volonté, et un homme comme moi ne peut pas en arriver là ; je veux ce que je dois, et ne transige pas plus sur la volonté que sur le devoir. »

Il dit cela avec une fermeté d’accent qui glaça Perrine ; puis, tout de suite il poursuivit :

« Maintenant, tu peux te demander comment, n’ayant pas voulu recevoir mon fils après son mariage, je veux présentement le rappeler près de moi. C’est que les conditions ne sont plus aujourd’hui ce qu’elles étaient à cette époque. Après treize années de ce prétendu mariage, mon fils doit être aussi las de cette créature que de la vie misérable qu’elle lui a fait mener près d’elle. D’autre part, les conditions pour moi sont changées aussi : ma santé est loin d’être restée ce qu’elle était,