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EN FAMILLE.

« Oui, dit-il, tu es une bonne fille. »

Et lui mettant la main sur la tête, il ajouta :

« Même quand mon fils sera de retour, tu ne nous quitteras pas, il saura reconnaître ce que tu as été pour moi.

— Je suis si peu et je voudrais être tant.

— Je lui dirai ce que tu as été, et d’ailleurs il le verra bien, car c’est un homme de cœur que mon fils. »

Bien souvent il s’était exprimé dans ces termes ou d’autres du même genre sur ce fils, et toujours elle avait eu la pensée de lui demander comment, avec ces sentiments, il avait pu se montrer si sévère, mais chaque fois, les paroles s’étaient arrêtées dans sa gorge serrée par l’émotion : c’était chose si grave pour elle d’aborder un pareil sujet.

Cependant ce soir-là, encouragée par ce qui venait de se passer, elle se sentit plus forte ; jamais occasion s’était-elle présentée plus favorable : elle était seule avec M. Vulfran, dans son cabinet où jamais personne n’entrait sans être appelé, assise près de lui, sous la lumière de la lampe, devait-elle hésiter plus longtemps ?

Elle ne le crut pas :

« Voulez-vous me permettre, dit-elle, le cœur angoissé et la voix frémissante, de vous demander une chose que je ne comprends pas, et à laquelle je pense à chaque instant sans oser en parler ?

— Dis.

— Ce que je ne comprends pas, c’est qu’aimant votre fils comme vous l’aimez, vous ayez pu vous séparer de lui.

— C’est qu’à ton âge on ne comprend, on ne sent que ce qui est affection, sans avoir conscience du devoir : or mon