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EN FAMILLE.

pied, elle allait de son pas ordinaire, et il la suivait sans se plaindre, car la plainte était précisément ce qu’il avait le plus en horreur, pour lui-même, aussi bien que pour les autres ; mais maintenant qu’elle savait que la marche un peu vive lui était une souffrance accompagnée de toux, d’étouffement, de palpitations, elle trouvait toujours des raisons, sans donner la vraie, pour qu’il ne pût pas se fatiguer, et ne fit qu’un exercice modéré, celui précisément qui lui était utile, non nuisible.

Une après-midi qu’ils traversaient ainsi à pied le village, ils rencontrèrent Mlle Belhomme qui ne voulut point passer sans saluer M. Vulfran, et après quelques paroles de politesse le quitta en disant :

« Je vous laisse sous la garde de votre Antigone. »

Que voulait dire cela ? Perrine n’en savait rien et M. Vulfran qu’elle interrogea ne le savait pas davantage. Alors le soir elle questionna l’institutrice qui lui expliqua ce qu’était cette Antigone, en lui faisant lire avec un commentaire approprié à sa jeune intelligence, ignorante des choses de l’antiquité, l’Œdipe à Colone de Sophocle ; et les jours suivants abandonnant le Tour du Monde, Perrine recommença cette lecture pour M. Vulfran qui s’en montra ému, sensible surtout à ce qui s’appliquait à sa propre situation.

« C’est vrai, dit-il, que tu es une Antigone pour moi, et même plus, puisque Antigone, fille du malheureux Œdipe, devait ses soins et sa tendresse à son père. »

Par là, Perrine vit quel chemin elle avait fait dans l’affection de M. Vulfran qui n’avait pas pour habitude de se répandre en effusion. Elle en fut si bouleversée que lui prenant la main, elle la lui baisa.