Page:Malot - En famille, 1893.djvu/411

Cette page a été validée par deux contributeurs.
405
EN FAMILLE.

— Intelligente, n’est-ce pas ?

— Intelligente ! Dites intelligentissime, si j’ose m’exprimer ainsi.

— L’écriture ? demanda M. Vulfran qui dirigeait son interrogatoire d’après les besoins qu’il avait de Perrine.

— Pas brillante, mais elle se formera.

— L’orthographe ?

— Faible.

— Alors ?

— J’aurais pu, pour la juger, lui faire faire une dictée qui m’aurait montré précisément son écriture et son orthographe ; mais cela seulement. J’ai voulu prendre d’elle une meilleure opinion, et je lui ai demandé une petite narration sur Maraucourt ; en vingt lignes, ou cent lignes, me dire ce qu’était le pays, comment elle le voyait. En moins d’une heure, au courant de la plume, sans chercher ses mots elle m’a écrit quatre grandes pages vraiment extraordinaires : tout s’y trouve réuni, le village lui-même, les usines, le paysage général, l’ensemble aussi bien que le détail ; il y a une page sur les entailles avec leur végétation, leurs oiseaux et leurs poissons, leur aspect dans les vapeurs du matin et l’air pur du soir, que j’aurais cru copiée dans un bon auteur, si je ne l’avais vu écrire. Par malheur la calligraphie et l’orthographe sont ce que je vous ai dit, mais qu’importe, c’est une affaire de quelques mois de leçons, tandis que toutes les leçons du monde ne lui apprendraient pas à écrire, si elle n’avait pas reçu le don de voir et de sentir, et aussi de rendre ce qu’elle voit et ce qu’elle sent. Si vous en avez le loisir, faites-vous lire cette page sur les entailles, elle vous prouvera que je n’exagère pas. »