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EN FAMILLE.

où elle a beaucoup réussi ; ses classes tiennent la tête parmi celles de notre département ; ses chefs la considèrent comme une institutrice modèle. Je ne ferais pas venir d’Amiens une meilleure maîtresse pour toi ! »

La tournée des usines terminée, la voiture s’arrêta devant l’école primaire des filles, et Mlle  Belhomme accourut auprès de M. Vulfran, mais il tint à descendre et à entrer chez elle pour lui exposer sa demande. Alors Perrine qui les suivit, put l’examiner : c’était bien la femme géante dont M. Vulfran avait parlé, imposante, mais avec un mélange de dignité et de bonté qui n’aurait nullement donné envie de se moquer d’elle, si elle n’avait pas eu un air craintif en désaccord avec sa prestance.

Bien entendu, elle n’avait rien à refuser au tout-puissant maître de Maraucourt, mais eût-elle eu des empêchements qu’elle s’en serait dégagée, car elle avait la passion de l’enseignement qui, à vrai dire, était son seul plaisir dans la vie, et puis d’autre part cette petite aux yeux profonds lui plaisait :

« Nous en ferons une fille instruite, dit-elle, cela est certain, savez-vous qu’elle a des yeux de gazelle ? Il est vrai que je n’ai jamais vu des gazelles, et pourtant je suis sûre qu’elles ont ces yeux-là. »

Mais ce fut bien autre chose le surlendemain quand après deux jours de leçons, elle put se rendre compte de ce qu’était la gazelle, et que M. Vulfran en rentrant au château au moment du dîner, lui demanda ce qu’elle en pensait.

« Quelle catastrophe c’eût été, — Mlle  Belhomme employait volontiers des mots grands et forts comme elle, — quelle catastrophe c’eût été que cette jeune fille restât sans culture.