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EN FAMILLE.

baissait et vis-à-vis de l’autre côté, le bouquet de bois où elle s’était assise, le jour de son arrivée, et où dans la brise du soir elle avait entendu passer la douce voix de sa mère qui murmurait : « Je te vois heureuse ».

Elle avait pressenti l’avenir la chère maman, et les grandes marguerites traduisant l’oracle qu’elle leur dictait, avaient aussi dit vrai : heureuse, elle commençait à l’être ; et si elle n’avait pas encore réussi tout à fait, ni même beaucoup, au moins devait-elle reconnaître qu’elle était en passe de réussir plus qu’un peu ; qu’elle fût patiente, qu’elle sût attendre, et le reste viendrait à son heure. Qui la pressait maintenant ? Ni la misère, ni le besoin dans ce château où elle était entrée si vite.

Quand le sifflet des usines annonça la sortie, elle était encore à son balcon planant dans sa rêverie, et ce furent ses coups stridents qui la ramenèrent de l’avenir dans la réalité présente. Alors du haut de l’observatoire d’où elle dominait les rues du village et les routes blanches à travers les prairies vertes et les champs jaunes, elle vit se répandre la fourmilière noire des ouvriers, qui grouillant d’abord en un gros amas compact, ne tarda pas à se diviser en plusieurs courants, à se morceler à l’infini, et à ne former bientôt plus que des petits groupes qui eux-mêmes s’évanouirent promptement ; la cloche du concierge sonna et la voiture de M. Vulfran monta l’allée circulaire au pas tranquille du vieux Coco.

Cependant elle ne quitta pas encore sa chambre, mais comme il le lui avait recommandé, elle fit sa toilette, en se livrant à une véritable débauche d’eau de Cologne aussi bien que de savon, — d’un bon savon onctueux, mousseux, tout