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EN FAMILLE.

c’est que l’éducation n’a pas marché parallèlement avec cette instruction primaire, que le bonhomme s’imagine être tout dans le monde, si bien que malgré sa belle écriture et son orthographe féroce, je ne peux pas m’empêcher de rire quand je l’entends faire usage de son langage distingué dans lequel les haricots sont « des flageolets » et les citrouilles « des potirons » ; nous nous contentons de soupe, lui ne mange que « du potage » ; quand je veux savoir si vous avez été vous promener, je vous demande : « Avez-vous été vous promener ? » lui vous dit : « Allâtes-vous à la promenade ? Qu’éprouvâtes-vous ? Nous voyageâmes ». Et quand je vois qu’avec ces beaux mots il se croit supérieur à tout le monde, je me dis que s’il devient maître des usines qu’il convoite, ce qui est possible, sénateur, administrateur de grandes compagnies, il voudra sans doute se faire nommer de l’Académie française, et ne comprendra pas qu’on ne l’accueille point. »

À ce moment Rosalie entra dans la salle et demanda à Perrine si elle ne voulait pas faire une course dans le village. Comment refuser ? Il y avait longtemps déjà qu’elle avait fini de dîner, et rester à sa place eût pu éveiller des suppositions qu’elle devait éviter de faire naître, si elle voulait qu’on continuât de parler librement devant elle.

La soirée étant douce et les gens restant assis dans la rue en bavardant de porte en porte, Rosalie aurait voulu flâner et transformer sa course en promenade ; mais Perrine ne se prêta pas à cette fantaisie, et elle prétexta la fatigue pour rentrer.

En réalité ce qu’elle voulait c’était réfléchir, non dormir, et dans la tranquillité de sa petite chambre, la porte close,