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EN FAMILLE.

Ainsi congédiés, les trois ouvriers s’en allèrent la tête basse, et Perrine reprit son attente jusqu’à ce que Guillaume vint la chercher pour l’introduire dans un vaste bureau où elle trouva M. Vulfran assis devant une grande table couverte de dossiers qu’appuyaient des presse-papiers marqués d’une lettre en relief, pour que la main les reconnût à défaut des yeux, et dont l’un des bouts était occupé par des appareils électriques et téléphoniques.

Sans l’annoncer, Guillaume avait refermé la porte derrière elle. Après un moment d’attente, elle crut qu’elle devait avertir M. Vulfran de sa présence :

« C’est moi Aurélie, dit-elle.

— J’ai reconnu ton pas ; approche et écoute-moi. Ce que tu m’as raconté de tes malheurs, et aussi l’énergie que tu as montrée m’ont intéressé à ton sort. D’autre part, dans ton rôle d’interprète avec les monteurs, dans les traductions que je t’ai fait faire, enfin dans nos entretiens j’ai rencontré en toi une intelligence qui m’a plu. Depuis que la maladie m’a rendu aveugle, j’ai besoin de quelqu’un qui voie pour moi, et qui sache regarder ce que je lui indique aussi bien que m’expliquer ce qui le frappe. J’avais espéré trouver cela dans Guillaume qui lui aussi est intelligent, mais par malheur la boisson l’a si bien abêti qu’il n’est plus bon qu’à faire un cocher, et encore à condition d’être indulgent. Veux-tu remplir auprès de moi la place que Guillaume n’a pas su prendre ? Pour commencer tu auras quatre-vingt-dix francs par mois, et des gratifications si, comme je l’espère, je suis content de toi. »

Suffoquée par la joie, Perrine resta sans répondre.