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EN FAMILLE.

« Le patron vous a-t-il dit autre chose que ce que je vous avais déjà dit moi-même ? Non, n’est-ce pas. Seulement il vous l’a dit moins doucement que moi, et il a eu raison.

— Raison ! Ah ! malheur.

— Vo n’direz point ça.

— Si, je le dirai parce que c’est la vérité. Moi, je suis toujours pour la vérité et la justice. Placé entre le patron et vous, je ne suis pas plus de son côté que du vôtre, je suis du mien qui est le milieu. Quand vous avez raison, je le reconnais ; quand vous avez tort, je vous le dis. Et aujourd’hui vous avez tort. Ça ne tient pas debout vos réclamations. On vous pousse, et vous ne voyez pas où l’on vous mène. Vous dites que le patron vous exploite, mais ceux qui se servent de vous, vous exploitent encore bien mieux ; au moins le patron vous fait vivre, eux vous feront crever de faim, vous, vos femmes, vos enfants. Maintenant il en sera ce que vous voudrez, c’est votre affaire bien plus que la mienne. Moi je m’en tirerai avec de nouvelles machines qui marcheront avant huit jours et feront votre ouvrage mieux que vous, plus vite, plus économiquement, et sans qu’on ait à perdre son temps à discuter avec elles — ce qui est quelque chose, n’est-ce pas ? Quand vous aurez bien tiré la langue, et que vous reviendrez en couchant les pouces, votre place sera prise, on n’aura plus besoin de vous. L’argent que j’aurai dépensé pour mes nouvelles machines, je le rattraperai bien vite. Voilà. Assez causé.

— Mais…

— Si vous n’avez pas compris, c’est bête, je ne vais pas perdre mon temps à vous écouter. »