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EN FAMILLE.

lieu de se rassurer, car il eût fallu, pour croire qu’elle n’avait rien à craindre de ce terrible homme, une confiance audacieuse qui n’était pas dans son caractère. Ce qu’il exigeait d’elle ne se devinait que trop : qu’elle fût son espion auprès de M. Vulfran, tout simplement, de façon à lui rapporter ce qui se trouverait dans les lettres qu’elle aurait à traduire.

Si c’était là une perspective bien faite pour l’épouvanter, cependant elle avait cela de bon de donner à croire que Talouel savait ou tout au moins supposait qu’elle aurait des lettres à traduire, c’est-à-dire que M. Vulfran la prendrait près de lui tant que Bendit serait malade.

Cinq ou six fois en voyant paraître Guillaume, qui, lorsqu’il ne remplissait pas les fonctions de cocher, était attaché au service personnel de M. Vulfran, elle avait cru qu’il venait la chercher, mais toujours il avait passé sans lui adresser la parole, pressé, affairé, sortant dans la cour, rentrant. À un certain moment il revint ramenant trois ouvriers qu’il conduisit dans le bureau de M. Vulfran, où Talouel les suivit. Et un temps assez long s’écoula, coupé quelquefois par des éclats de voix qui lui arrivaient quand la porte du vestibule s’ouvrait. Évidemment M. Vulfran avait autre chose à faire que de s’occuper d’elle et même de se souvenir qu’elle était là.

À la fin les ouvriers reparurent accompagnés de Talouel : quand ils étaient passés la première fois ils avaient la démarche résolue de gens qui vont de l’avant et sont décidés ; maintenant ils avaient des attitudes mécontentes, embarrassées, hésitantes. Au moment où ils allaient sortir, Talouel les retint d’un geste de main :