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EN FAMILLE.

qu’elle devait prendre, une règle qu’elle devait s’imposer de ne jamais céder à des impulsions instinctives.

Elle retrouva son île dans l’état où elle l’avait laissée, avec chaque chose à sa place ; les oiseaux avaient même respecté les groseilles du saule qui ayant mûri pendant son absence, composèrent pour son souper un plat, sur lequel elle ne comptait pas du tout.

Comme elle était rentrée de meilleure heure que lorsqu’elle sortait de l’atelier, elle ne voulut pas se coucher aussitôt son souper fini, et en attendant la tombée de la nuit, elle passa la soirée en dehors de l’aumuche, assise dans les roseaux à l’endroit où la vue courait librement sur l’entaille et ses rives. Alors elle eut conscience que si courte qu’eût été son absence, le temps avait marché et amené des changements pour elle menaçants. Dans les prairies ne régnait plus le silence solennel des soirs, qui l’avait si fortement frappée aux premiers jours de son installation dans l’île, quand dans toute la vallée on n’entendait sur les eaux, au milieu des hautes herbes, comme sous le feuillage des arbres que les frôlements mystérieux des oiseaux qui rentraient pour la nuit. Maintenant la vallée était troublée au loin par toutes sortes de bruits : des battements de faux, des grincements d’essieu, des claquements de fouet, des murmures de voix. C’est qu’en effet, comme elle l’avait remarqué en revenant de Saint-Pipoy, la fenaison était commencée dans les prairies les mieux exposées, où l’herbe avait mûri plus vite ; et bientôt les faucheurs arriveraient à celles de son entaille qu’un ombrage plus épais avait retardées.

Alors sans aucun doute elle devrait quitter son nid, qui