Page:Malot - En famille, 1893.djvu/257

Cette page a été validée par deux contributeurs.
251
EN FAMILLE.

pas ; seulement elle y était venue à un moment quelconque de la journée, puisque maintenant au lieu de dix œufs il y en avait onze ; ce qui prouvait que n’ayant pas fini de pondre, elle ne couvait pas encore.

C’était là une bonne chance, d’abord parce que les œufs seraient frais, et puis parce qu’en en prenant seulement cinq ou six la sarcelle, qui ne savait pas compter, ne s’apercevrait de rien.

Autrefois Perrine n’eût pas eu de ces scrupules et elle eût vidé complètement le nid, sans aucun souci, mais les chagrins qu’elle avait éprouvés lui avaient mis au cœur une compassion attendrie pour les chagrins des autres, de même que son affection pour Palikare lui avait inspiré pour toutes les bêtes une sympathie qu’elle ne connaissait pas en son enfance. Cette sarcelle n’était-elle pas une camarade pour elle ? Ou plutôt en continuant son jeu, une sujette ? Si les rois ont le droit d’exploiter leurs sujets et d’en vivre, encore doivent-ils garder avec eux certains ménagements.

Quand elle avait décidé cette chasse, elle avait en même temps arrêté la manière de la faire cuire ; bien entendu ce ne serait pas dans l’aumuche, car le plus léger flocon de fumée qui s’en échapperait pourrait donner l’éveil à ceux qui le verraient, mais simplement dans une carrière du taillis où campaient les nomades qui traversaient le village, et où par conséquent ni un feu, ni de la fumée ne devaient attirer l’attention de personne. Promptement elle ramassa une brassée de bois mort et bientôt elle eut un brasier dans les cendres duquel elle fit cuire un de ses œufs, tandis qu’entre deux silex bien propres et bien polis elle égrugeait