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EN FAMILLE.

« Où qu’c’est que vo avez acheté ces chaussons ? demanda-t-elle.

— Ce ne sont pas des chaussons, ce sont des espadrilles.

— C’est joli tout de même ; ça coûte-t-y cher ?

— Je les ai faites moi-même avec des roseaux tressés et quatre sous de coutil.

— C’est joli. »

Ce succès la décida à entreprendre un autre travail, beaucoup plus délicat, auquel elle avait bien souvent pensé, mais en l’écartant toujours, autant parce qu’il entraînait une trop grosse dépense, que parce qu’il se présentait entouré de difficultés de toutes sortes. Ce travail c’était de se tailler et de se coudre une chemise pour remplacer la seule qu’elle possédât maintenant et qu’elle portait sur le dos, sans pouvoir l’ôter pour la laver. Combien coûteraient deux mètres de calicot, qui lui étaient nécessaires ? Elle n’en savait rien. Comment les couperait-elle lorsqu’elle les aurait ? Elle ne le savait pas davantage. Et il y avait là une série d’interrogations qui lui donnaient à réfléchir ; sans compter qu’elle se demandait s’il ne serait pas plus sage de commencer par se faire un caraco, et une jupe en indienne pour remplacer sa veste et son jupon, qui se fatiguaient d’autant plus qu’elle était obligée de coucher avec. Le moment où ils l’abandonneraient tout à fait n’était pas difficile à calculer. Alors comment sortirait-elle ? Et pour sa vie, pour son pain quotidien, aussi bien que pour le succès de ses projets, il fallait qu’elle continuât à être admise à l’usine.

Cependant quand, le samedi soir, elle eut entre les mains les trois francs qu’elle venait de gagner dans sa semaine, elle ne put pas résister à la tentation de la chemise. Assurément le