Page:Malot - En famille, 1893.djvu/237

Cette page a été validée par deux contributeurs.
231
EN FAMILLE.

Elle réfléchissait tristement à ces impossibilités, quand ses yeux errant vaguement sur l’étang et ses rives, rencontrèrent une touffe de roseaux qui les arrêta : les tiges de ces roseaux étaient vigoureuses, hautes, épaisses, et parmi celles poussées au printemps, il y en avait de l’année précédente, tombées dans l’eau, qui ne paraissaient pas encore pourries. Voyant cela, une idée s’éveilla dans son esprit : on ne se chausse pas qu’avec des souliers de cuir et des sabots de bois ; il y a aussi des espadrilles dont la semelle se fait en roseaux tressés et le dessus en toile. Pourquoi n’essayerait-elle pas de se tresser des semelles avec ces roseaux qui semblaient poussés là exprès pour qu’elle les employât, si elle en avait l’intelligence ?

Aussitôt elle sortit de son île et, suivant la rive, elle arriva à la touffe de roseaux, où elle vit qu’elle n’avait qu’à prendre à brassée parmi les meilleures tiges, c’est-à-dire celles qui, déjà desséchées, étaient cependant flexibles encore et résistantes.

Elle en coupa rapidement une grosse botte qu’elle rapporta dans l’aumuche où aussitôt elle se mit à l’ouvrage.

Mais après avoir fait un bout de tresse d’un mètre de long à peu près, elle comprit que cette semelle, trop légère parce qu’elle était trop creuse, n’aurait aucune solidité, et qu’avant de tresser les roseaux, il fallait qu’ils subissent une préparation qui, en écrasant leurs fibres, les transformerait en grosse filasse.

Cela ne pouvait l’arrêter ni l’embarrasser : elle avait un billot pour battre dessus les roseaux ; il ne lui manquait qu’un maillet ou un marteau ; une pierre arrondie qu’elle alla choisir sur la route, lui en tint lieu ; et tout de suite elle commença à battre les roseaux, mais sans les mêler. L’ombre de la nuit