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EN FAMILLE.

beurre, un morceau de fromage ; elle n’avait donc qu’à attendre, et quelques jours de plus ou de moins, des semaines même n’étaient rien.

Au contraire l’habillement, au moins pour plusieurs de ses parties, était dans un état de délabrement qui l’obligeait à agir au plus vite, car les raccommodages faits pendant ses quelques journées de séjour auprès de La Rouquerie, ne tenaient plus.

Ses souliers particulièrement s’étaient si bien amincis que la semelle fléchissait sous le doigt quand elle la tâtait : il n’était pas difficile de calculer le moment où elle se détacherait de l’empeigne, et cela se produirait d’autant plus vite que, pour conduire son wagonet, elle devait passer par des chemins empierrés depuis peu, où l’usure était rapide. Quand cela arriverait comment ferait-elle ? Évidemment elle devrait acheter de nouvelles chaussures ; mais devoir et pouvoir sont deux ; où trouverait-elle l’argent de cette dépense ?

La première chose à faire, celle qui pressait le plus, était de se fabriquer des chaussures, et cela présentait pour elle des difficultés qui tout d’abord, quand elle en envisagea l’exécution, la découragèrent. Jamais elle n’avait eu l’idée de se demander ce qu’était un soulier ; mais quand elle en eut retiré un de son pied pour l’examiner, et qu’elle vit comment l’empeigne était cousue à la semelle, le quartier réuni à l’empeigne et le talon ajouté au tout, elle comprit que c’était un travail au-dessus de ses forces et de sa volonté, qui ne pouvait lui inspirer que du respect pour l’art du cordonnier. Fait d’une seule pièce et dans un morceau de bois, un sabot était par cela même plus facile ; mais comment le creuser quand pour tout outil elle n’avait que son couteau ?