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EN FAMILLE.

vait dormir, mais assez légèrement au contraire pour se réveiller lorsque le premier coup de sifflet ferait entendre son appel.

Mais le sommeil le plus solide n’est pas toujours le meilleur, c’est bien plutôt celui qui s’interrompt, reprend, s’interrompt encore et donne ainsi la conscience de la rêverie qui se suit et s’enchaîne ; et sa rêverie n’avait rien que d’agréable et de riant : en dormant, sa fatigue de la veille avait si bien disparu qu’elle ne s’en souvenait même plus ; son lit était doux, chaud, parfumé ; l’air qu’elle respirait embaumait le foin fané ; les oiseaux la berçaient de leurs chansons joyeuses, et les gouttes de rosée condensée sur les feuilles de saules qui tombaient dans l’eau faisaient une musique cristalline.

Quand le sifflet déchira le silence de la campagne elle fut vite sur ses pieds, et après une toilette soignée au bord de l’étang, elle se prépara à partir. Mais sortir de son île en remettant le pont en place lui parut un moyen qui, en plus de sa vulgarité, présentait ce danger d’offrir le passage à ceux qui pourraient vouloir entrer dans l’aumuche, si tant était que quelqu’un eût avant l’hiver cette idée invraisemblable. Elle restait devant le fossé, se demandant si elle pourrait le franchir d’un bond quand elle aperçut une longue branche qui étayait l’aumuche du côté où les saules manquaient, et la prenant, elle s’en servit pour sauter le fossé à la perche, ce qui pour elle, habituée à cet exercice qu’elle avait pratiqué bien souvent, fut un jeu. Peut-être était-ce là une façon peu noble de sortir de son royaume, mais comme personne ne l’avait vue, au fond cela importait peu ; d’ailleurs les jeunes