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EN FAMILLE.

Il est vrai qu’elle avait bien le droit de ne plus occuper le lit payé par elle ; mais alors où en trouverait-elle un autre, et surtout que dirait-elle à Rosalie pour expliquer d’une façon acceptable que ce qui était bon pour les autres ne l’était pas pour elle ? Comment les autres, quand elles connaîtraient ses dégoûts, la traiteraient-elles ? N’y aurait-il pas là une cause d’animosité qui pouvait la contraindre à quitter l’usine ? Ce n’était pas seulement bonne ouvrière qu’elle devait être, c’était encore ouvrière comme les autres ouvrières.

Et la journée s’était écoulée sans qu’elle osât se résoudre à prendre un parti.

Mais la blessure de Rosalie changeait la situation : maintenant que la pauvre fille allait rester au lit pendant plusieurs jours sans doute, elle ne saurait pas ce qui se passerait à la chambrée, qui y coucherait ou n’y coucherait point, et par conséquent ses questions ne seraient pas à craindre. D’autre part, comme aucune de celles qui occupaient la chambrée ne savait qui avait été leur voisine pour une nuit, elles ne s’occuperaient pas non plus de cette inconnue, qui pouvait très bien avoir pris un logement ailleurs.

Cela établi, et ce raisonnement fut vite fait, il ne restait qu’à trouver où elle irait coucher si elle abandonnait la chambrée.

Mais elle n’avait pas à chercher. Combien souvent n’avait-elle pas pensé à l’aumuche avec une convoitise ravie ! comme on serait bien là pour dormir si c’était possible ! rien à craindre de personne puisqu’elle n’était fréquentée que pendant la saison de la chasse, ainsi que le numéro du Journal d’Amiens le prouvait : un toit sur la tête, des murs chauds,