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EN FAMILLE.

— On ne sait pas ; ce n’est jamais le premier jour qu’on souffre, c’est plus tard.

— Comment cela vous est-il arrivé ?

— Je n’y comprends rien ; j’ai glissé.

— Vous étiez peut-être fatiguée, dit Perrine pensant à elle-même.

— C’est toujours quand on est fatigué qu’on s’estropie ; le matin on est plus souple et on fait attention. Qu’est-ce que va dire tante Zénobie ?

— Puisque ce n’est pas votre faute.

— Mère Françoise croira bien que ce n’est pas ma faute, mais tante Zénobie dira que c’est pour ne pas travailler.

— Vous la laisserez dire.

— Si vous croyez que c’est amusant d’entendre dire. »

Sur leur chemin les ouvriers qui les rencontraient les arrêtaient pour les interroger : les uns plaignaient Rosalie ; le plus grand nombre l’écoutait indifféremment, en gens qui sont habitués à ces sortes de choses et se disent que ça a toujours été ainsi ; on est blessé comme on est malade, on a de la chance ou on n’en a pas ; chacun son tour, toi aujourd’hui, moi demain ; d’autres se fâchaient :

« Quand ils nous auront tous estropiés !

— Aimes-tu mieux crever de faim ? »

Elles arrivèrent au bureau du directeur qui se trouvait au centre de l’usine, englobé dans un grand bâtiment en briques vernissées bleues et roses, où tous les autres bureaux étaient réunis ; mais tandis que ceux-là, même celui de M. Vulfran, n’avaient rien de caractéristique, celui du directeur se signalait