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EN FAMILLE.

se faisait plus lourdement sentir. Se baisser, se relever pour charger et décharger le wagonet, lui donner un coup d’épaule pour le démarrer, un coup de reins pour le retenir, le pousser, l’arrêter qui n’était qu’un jeu en commençant ; répété, continué sans relâche, devenait un travail, et avec les heures, les dernières surtout, une lassitude qu’elle n’avait jamais connue, même dans ses plus dures journées de marche, avait pesé sur elle.

« Ne lambine donc pas comme ça ! » criait la Quille.

Secouée par le coup de pilon qui accompagnait ce rappel, elle allongeait le pas comme un cheval sous un coup de fouet, mais pour le ralentir aussitôt qu’elle se voyait hors de sa portée. Et maintenant tout à sa besogne, qui l’engourdissait, elle n’avait plus de curiosité et d’attention que pour compter les sonneries de l’horloge, les quarts, la demie, l’heure, se demandant quand la journée finirait et si elle pourrait aller jusqu’au bout.

Quand cette question l’angoissait, elle s’indignait et se dépitait de sa faiblesse. Ne pouvait-elle pas faire ce que faisaient les autres qui n’étant ni plus âgées, ni plus fortes qu’elle, s’acquittaient de leur travail sans paraître en souffrir ; et cependant elle se rendait bien compte que ce travail était plus dur que le sien, demandait plus d’application d’esprit, plus de dépense d’agilité. Que fût-elle devenue si, au lieu de la mettre aux wagonets, on l’avait tout de suite employée aux cannettes ? Elle ne se rassurait qu’en se disant que c’était l’habitude qui lui manquait, et qu’avec du courage, de la volonté, de la persévérance, cette accoutumance lui viendrait ; pour cela comme pour tout, il n’y avait qu’à