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EN FAMILLE.

qui passaient à leur portée. Tout à coup un rayon bleu rapide comme un éclair l’éblouit, et ce fut seulement après qu’il eut disparu qu’elle comprit que c’était un martin-pêcheur qui venait de traverser l’étang.

Longtemps, sans un mouvement qui, en trahissant sa présence, aurait fait envoler tout ce monde de la prairie, elle resta à sa fenêtre à le regarder. Comme tout cela était joli dans cette fraîche lumière, gai, vivant, amusant, nouveau à ses yeux, assez féerique pour qu’elle se demandât si cette île avec sa hutte n’était point une petite arche de Noé.

À un certain moment elle vit l’étang se couvrir d’une ombre noire qui passait capricieusement, agrandie, rapetissée sans cause apparente, et cela lui parut d’autant plus inexplicable que le soleil qui s’était élevé au-dessus de l’horizon continuait de briller radieux dans le ciel sans nuage. D’où pouvait venir cette ombre ? Les étroites fenêtres de l’aumuche ne lui permettant pas de s’en rendre compte, elle ouvrit la porte et vit qu’elle était produite par des tourbillons de fumée qui passaient avec la brise, et venaient des hautes cheminées de l’usine où déjà des feux étaient allumés pour que la vapeur fût en pression à l’entrée des ouvriers.

Le travail allait donc bientôt commencer, et il était temps qu’elle quittât l’aumuche pour se rapprocher des ateliers. Cependant avant de sortir, elle ramassa un journal posé sur le billot qu’elle n’avait pas aperçu, mais que la pleine lumière qui sortait par la porte ouverte lui montra, et machinalement elle jeta les yeux sur son titre : c’était le Journal d’Amiens du