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EN FAMILLE.

en bon air, tranquille, couchée dans la fougère, sans autres bruits que ceux du feuillage et des eaux, plutôt qu’entre les draps si durs de Mme  Françoise, au milieu des cris de la Noyelle, et de ses camarades, dans cette atmosphère horrible dont l’odeur toujours persistante la poursuivait en lui soulevant le cœur.

Elle s’allongea sur la fougère, et se tassa dans un coin contre la moelleuse paroi des roseaux en fermant les yeux. Mais comme elle ne tarda pas à se sentir gagnée par un doux engourdissement, elle se remit sur ses jambes, car il ne lui était pas permis de s’endormir tout à fait, de peur de ne pas s’éveiller avant l’entrée aux ateliers.

Maintenant le soleil était levé, et par l’ouverture exposée à l’orient, un rayon d’or entrait dans l’aumuche qu’il illuminait ; au dehors les oiseaux chantaient, et autour de l’îlot, sur l’étang, dans les roseaux, sur les branches des saules se faisait entendre une confusion de bruits, de murmures, de sifflements, de cris qui annonçaient l’éveil à la vie de toutes les bêtes de la tourbière.

Elle mit la tête à une ouverture et vit ces bêtes s’ébattre autour de l’aumuche en pleine sécurité : dans les roseaux, des libellules voletaient de çà et de là ; le long des rives, des oiseaux piquaient de leurs becs la terre humide pour saisir des vers, et sur l’étang couvert d’une buée légère, une sarcelle d’un brun cendré, plus mignonne que les canes domestiques, nageait entourée de ses petits qu’elle tâchait de maintenir près d’elle par des appels incessants, mais sans y parvenir, car ils lui échappaient pour s’élancer à travers les nénuphars fleuris où ils s’empêtraient, à la poursuite de tous les insectes