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EN FAMILLE.

père en vendait et l’en régalait, aussi ça m’allait. Ce que j’ai sef, monsieur le chef, sef, sef, sef ! »

De temps en temps la voix se ralentissait et faiblissait comme si le sommeil allait bientôt se produire ; mais tout de suite elle repartait plus hâtée, plus criarde, et alors celles qui avaient commencé à s’endormir se réveillaient en sursaut en poussant des cris furieux qui épouvantaient la Noyelle, mais ne la faisaient pas taire :

« Pourquoi que vous me brutalisez ? Écoutez, pardonnez, c’est assez.

— Vous avez eu une belle idée de la monter !

— C’est té qu’as voulu.

— Si on la redescendait ?

— On ne dormira jamais. »

C’était bien le sentiment de Perrine qui se demandait si c’était vraiment ainsi tous les dimanches, et comment les camarades de la Noyelle pouvaient supporter son voisinage : n’existait-il pas à Maraucourt d’autres logements où l’on pouvait dormir tranquillement ?

Il n’y avait pas que le tapage qui fût exaspérant dans cette chambrée, l’air aussi qu’on y respirait commençait à n’être plus supportable pour elle : lourd, chaud, étouffant, chargé de mauvaises odeurs dont le mélange soulevait le cœur ou le noyait.

À la fin cependant le moulin à paroles de la Noyelle se ralentit, elle ne lança que des mots à demi formés, puis ce ne fut plus qu’un ronflement qui sortit de sa bouche.

Mais bien que le silence se fût maintenant établi dans la chambre, Perrine ne put pas s’endormir : elle était oppres-