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EN FAMILLE.

reux que M. Vulfran ait donné du travail au pays ; c’est vrai qu’il y a la terre, mais la terre ne peut pas nourrir tous ceux qui lui demandent à manger. »

Pendant que la vieille nourrice débitait cette leçon avec l’importance et l’autorité d’une femme habituée à ce qu’on respecte sa parole, Rosalie atteignait un paquet de linge dans une armoire et Perrine, qui tout en écoutant, la suivait de l’œil, remarquait que les draps qu’on lui préparait étaient en grosse toile d’emballage jaune ; mais depuis si longtemps elle ne couchait plus dans des draps, qu’elle devait encore s’estimer heureuse d’avoir ceux-là, si durs qu’ils fussent. Déshabillée ! La Rouquerie qui durant ses voyages ne faisait jamais la dépense d’un lit, n’avait même pas eu l’idée de lui offrir ce plaisir, et longtemps avant leur arrivée en France les draps de la roulotte, excepté ceux qui servaient à la mère, avaient été vendus, ou s’en étaient allés en lambeaux.

Elle prit la moitié du paquet et suivant Rosalie elles traversèrent la cour où une vingtaine d’ouvriers, hommes, femmes, enfants étaient assis sur des billots de bois, des blocs de pierre, attendant l’heure du coucher en causant et en fumant. Comment tout ce monde pouvait-il loger dans la vieille maison qui n’était pas grande ?

La vue de son grenier, quand Rosalie eut allumé une petite chandelle placée derrière un treillis en fil de fer, répondit à cette question. Dans un espace de six mètres de long sur un peu plus de trois de large, six lits étaient alignés le long des cloisons, et le passage qui restait entre eux au milieu avait à peine un mètre. Six personnes devaient donc passer la nuit là où il y avait à peine place pour deux ; aussi, bien