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EN FAMILLE.

une telle difficulté dans l’ignorance de tout où elle se trouvait, qu’elle comprit bientôt que c’était une tâche de beaucoup au-dessus de ses forces : sa mère, si elle avait pu arriver à Maraucourt, aurait sans doute su ce qu’il convenait de faire ; mais elle n’avait ni l’expérience, ni l’intelligence, ni la prudence, ni la finesse, ni aucune des qualités de cette pauvre mère, n’étant qu’une enfant, sans personne pour la guider, sans appuis, sans conseils.

Cette pensée et plus encore l’évocation de sa mère amenèrent dans ses yeux un flot de larmes ; elle se mit alors à pleurer sans pouvoir se retenir, en répétant le mot que tant de fois elle avait dit depuis son départ du cimetière comme s’il avait le pouvoir magique de la sauver :

« Maman, chère maman ! »

De fait, ne l’avait-il pas secourue, fortifiée, relevée quand elle s’abandonnait dans l’accablement de la fatigue, et du désespoir ? eût-elle soutenu la lutte jusqu’au bout, si elle ne s’était pas répété les dernières paroles de la mourante : « Je te vois,… oui, je te vois heureuse ? » N’est-il pas vrai que ceux qui vont mourir, et dont l’âme flotte déjà entre la terre et le ciel, savent bien des choses mystérieuses qui ne se révèlent pas aux vivants ?

Cette crise, au lieu de l’affaiblir, lui fit du bien, et elle en sortit le cœur plus fort d’espoir, exalté de confiance, s’imaginant que la brise, qui de temps en temps passait dans l’air calme du soir, apportait une caresse de sa mère sur ses joues mouillées, et lui soufflait ses dernières paroles : « Je te vois heureuse. »

Et pourquoi non ? Pourquoi sa mère ne serait-elle pas près