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EN FAMILLE.

récits des légendes du pays, qu’il avait plus tard racontés à sa fille : la Fée des tourbières, l’Enlisage des Anglais, le Leuwarou d’Hangest, et dix autres qu’elle se rappelait comme si elle les avait entendus la veille.

Le soleil, en tournant, l’obligea à changer de place, mais elle n’eut que quelques pas à faire, pour en trouver une valant celle qu’elle abandonnait, où l’herbe était aussi douce, aussi parfumée, avec une aussi belle vue sur le village et toute la vallée, si bien que, jusqu’au soir, elle put rester là dans un état de béatitude tel qu’elle n’en avait pas goûté depuis longtemps.

Certainement elle n’était pas assez imprévoyante pour s’abandonner aux douceurs de son repos, et s’imaginer que c’en était fini de ses épreuves. Parce qu’elle avait assurés le travail, le pain et le coucher, tout n’était pas dit, et ce qui lui restait à acquérir pour réaliser les espérances de sa mère paraissait si difficile qu’elle ne pouvait y penser qu’en tremblant ; mais enfin, c’était un si grand résultat que de se trouver dans ce Maraucourt, où elle avait tant de chances contre elle pour n’arriver jamais, qu’elle devait maintenant ne désespérer de rien, si long que fût le temps à attendre, si dures que fussent les luttes à soutenir. Un toit sur la tête, dix sous par jour, n’était-ce pas la fortune pour la misérable fille qui n’avait pour dormir que la grand’route, et pour manger, rien autre chose que l’écorce des bouleaux ?

Il lui semblait qu’il serait sage de se tracer un plan de conduite, en arrêtant ce qu’elle devait faire ou ne pas faire, dire ou ne pas dire, au milieu de la vie nouvelle qui allait commencer pour elle dès le lendemain ; mais cela présentait