Page:Malot - En famille, 1893.djvu/137

Cette page a été validée par deux contributeurs.
131
EN FAMILLE.

ses souliers ; à Ailly, en attendant le départ du train, elle avait fait dans le courant de la rivière une toilette minutieuse ; et maintenant, elle débarquait propre, fraîche et dispose.

Mais ce qui, mieux que la propreté, mieux même que les cinquante-cinq sous qui sonnaient dans sa poche, la relevait, c’était un sentiment de confiance qui lui venait de ses épreuves passées. Puisqu’en ne s’abandonnant pas et en persévérant jusqu’au bout, elle en avait triomphé, n’avait-elle pas le droit d’espérer et de croire qu’elle triompherait maintenant des difficultés qui lui restaient à vaincre ? Si le plus dur n’était pas accompli, au moins y avait-il quelque chose de fait, et précisément le plus pénible, le plus dangereux.

À la sortie de la gare, elle avait passé sur le pont d’une écluse, et maintenant elle marchait allègre, à travers de vertes prairies plantées de peupliers et de saules qu’interrompaient de temps en temps des marais, dans lesquelles on apercevait à chaque pas des pêcheurs à la ligne penchés sur leur bouchon et entourés d’un attirail qui les faisait reconnaître tout de suite pour des amateurs endimanchés échappés de la ville. Aux marais succédaient des tourbières, et sur l’herbe, roussie, s’alignaient des rangées de petits cubes noirs entassés géométriquement et marqués de lettres blanches ou de numéros qui étaient des tas de tourbe disposés pour sécher.

Que de fois son père lui avait-il parlé de ces tourbières et de leurs entailles, c’est-à-dire des grands étangs que l’eau a remplis après que la tourbe a été enlevée, qui sont l’origi-