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EN FAMILLE.

Il troubla en effet Perrine qui laissa voir son émotion, mais elle se raidit.

« Je dois aller près de mes parents.

— Tes parents t’ont-ils sauvé la vie comme lui ?

— Je n’obéirais pas à maman si je n’y allais pas.

— Vas-y donc ; mais si un jour tu regrettes l’occasion que je t’offre, tu ne t’en prendras qu’à toi.

— Soyez sûre que je garderai votre souvenir dans mon cœur. »

La Rouquerie ne se fâcha pas de ce refus au point de ne pas arranger avec son ami le coquetier le voyage en voiture jusqu’aux environs d’Amiens, et pendant toute une journée Perrine eut la satisfaction de rouler au trot de deux bons chevaux, couchée dans la paille, sous une bâche au lieu de peiner à pied sur cette longue route, que la comparaison de son bien-être présent avec les fatigues passées lui faisait paraître plus longue encore. À Essentaux, elle coucha dans une grange, et le lendemain, qui était un dimanche, elle donna au guichet de la gare d’Ailly sa pièce de cent sous qui, cette fois, ne fut ni refusée, ni confisquée, et sur laquelle on lui rendit deux francs soixante-quinze avec un billet pour Picquigny, où elle arriva à onze heures par une matinée radieuse et chaude, mais d’une chaleur douce qui ne ressemblait pas plus à celle de la forêt de Chantilly, qu’elle ne ressemblait elle-même à la misérable qu’elle était à ce moment.

Pendant les quelques jours qu’elle avait passés avec La Rouquerie, elle avait pu repriser et rapiécer sa jupe et sa veste, se tailler un fichu dans des chiffons, laver son linge, cirer