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EN FAMILLE.

Comme elle s’était arrêtée devant un champ de pois, elle vit quatre jeunes filles à peu près du même âge qu’elle, entrer dans ce champ sous la direction d’une paysanne et en commencer la cueillette. Alors ramassant tout son courage, elle franchit le fossé de la route et se dirigea vers la paysanne ; mais celle-ci ne la laissa pas venir :

« Qué que tu veux ? dit-elle.

— Vous demander si vous voulez que je vous aide.

— Je n’avons besoin de personne.

— Vous me donnerez ce que vous voudrez.

— D’où que t’es ?

— De Paris. »

Une des jeunes filles leva la tête et lui jetant un mauvais regard, elle cria :

« C’te galvaudeuse qui vient de Paris pour prendre l’ouvrage du monde.

— On te dit qu’on n’a besoin de personne, » continua la paysanne.

Il n’y avait qu’à repasser le fossé et à se remettre en marche, ce qu’elle fit, le cœur gros et les jambes cassées.

« V’là les gendarmes, cria une autre, sauve-toi. »

Elle retourna vivement la tête et toutes partirent d’un éclat de rire, s’amusant de leur plaisanterie.

Elle n’alla pas loin et bientôt elle dut s’arrêter, ne voyant plus son chemin tant les yeux étaient pleins de larmes ; que leur avait-elle fait pour qu’elles fussent si dures !

Décidément, pour les vagabonds le travail est aussi difficile à trouver que les gros sous. La preuve était faite. Aussi n’osa-t-elle pas la répéter, et continua-t-elle son chemin,