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EN FAMILLE.

Le temps aussi était à souhait pour lui mettre au cœur des pensées d’espérance : jamais elle n’avait vu matinée si belle, si riante, l’orage en lavant les chemins et la campagne avait donné à tout, aux plantes, comme aux arbres, une vie nouvelle qui semblait éclose de la nuit même ; le ciel réchauffé, s’était peuplé de centaines d’alouettes qui piquaient droit dans l’azur limpide en lançant des chansons joyeuses ; et de toute la plaine qui bordait la forêt s’exhalait une odeur fortifiante d’herbes, de fleurs et de moissons.

Au milieu de cette joie universelle était-il possible qu’elle restât seule désespérée ? Le malheur la poursuivrait-il toujours ? Pourquoi n’aurait-elle pas une bonne chance ? C’en était déjà une grande de s’être abritée dans la forêt ; elle pouvait bien en rencontrer d’autres.

Et tout en marchant son imagination s’envolait sur les ailes de cette idée, à laquelle elle revenait toujours, que quelquefois on perd de l’argent sur les grands chemins, qu’une poche trouée laisse tomber ; ce n’était donc pas folie de se répéter encore qu’elle pouvait trouver ainsi, non une grosse bourse qu’elle devrait rendre, mais un simple sou, et même une pièce de dix sous qu’elle aurait le droit de garder sans causer de préjudice à personne, et qui la sauveraient.

De même il lui semblait qu’il n’était pas extravagant non plus, de penser qu’elle pourrait rencontrer une bonne occasion de s’employer à un travail quelconque, ou de rendre un service qui lui feraient gagner quelques sous.

Elle avait besoin de si peu pour vivre trois ou quatre jours.

Et elle allait ainsi les yeux attachés sur le gravier lavé, mais sans apercevoir le gros sou ou la petite pièce blanche tombés